Tu resteras Mademoiselle Vauzelle…

À Nicole,

La plus belle image qui me revient en mémoire est celle où je t’ai invitée à danser. Pourtant, j’étais si timide qu’habituellement je n’aurais jamais osé. Mais ce soir-là, dans la salle paroissiale de l’église anglicane d’Ashford, une soirée était organisée pour notre séjour linguistique de Pâques 1975. Tu étais particulièrement belle en cette occasion. Je ne te reconnaissais plus sans tes lunettes. Et je ne te cache pas que j’avais un peu le béguin pour toi, ce soir-là.

Dès les premières notes de musique, je t’ai conviée à être ma cavalière, et tu as accepté en souriant.

C’était la première fois que j’enlaçais une femme sur la piste qui ne fut pas une personne de ma famille lors d’une réunion, un mariage ou un réveillon. Tu étais la première personne étrangère que je tenais dans mes bras d’adolescent.

Ce moment est resté suspendu dans mes souvenirs. Nous avions partagé un moment de grâce tous les deux. Et depuis ce voyage, et notamment cette nuit-là, nous n’avions plus la même opinion l’un pour l’autre.

Au retour d’Angleterre, la vie reprit son tour. Je redevins le collégien timide de troisième, et toi Nicole que nous appelions Mademoiselle associé à ton patronyme, mon professeur d’anglais. Ton regard sur moi avait changé, tu me connaissais un peu mieux au terme de ces quinze jours passés ensemble. Je te respectais un peu plus en m’investissant plus sérieusement dans tes cours. Mes résultats s’en ressentirent. Et l’anglais devint une des matières dans laquelle j’excellais avec l’allemand, enseigné par M. François Lannaud. Quand le conseil de classe scella mon sort, me privant de la possibilité de poursuivre mon cursus scolaire, tu fus là avec lui pour me soutenir.

Pourtant, entre nous, rien n’était gagné. Il y avait tant de méfiance et d’incompréhension. Un voyage et une danse avaient tout changé, irrémédiablement.

Je quittais Montfermeil avec mes souvenirs et mes peines. Et si j’avais osé, nous aurions gardé le contact. La page était tournée. J’appris, quelques années plus tard, par une camarade de classe qu’à l’époque où tu enseignais, tu t’occupais de ta mère. Cela étant, tu n’étais donc pas mariée, en ce temps-là. Puis, tu rencontras l’homme de ta vie. Je ne te cache pas que je t’ai cherché des années sur Internet, sans jamais te trouver. Puis, incidemment, j’ai eu connaissance de ton nom marital. Et, mes recherches ont alors abouti pour apprendre que le 1er septembre 2019 tu avais quitté ce monde à 82 ans. J’en tirais une profonde tristesse, car quelques jours auparavant, je venais de publier cette même année mon premier roman.

Repose en paix, ma belle Nicole.