Mais rien ne vaut une vie
Article paru sur l’ancienne version du site, le 26 décembre 2004
Perdre un membre de sa famille est pour beaucoup une douleur intolérable, apprendre le décès d’un ami ou par sa bouche celui d’un de ses proches crée entre nous une profonde compassion. Chaque jour, la liste nécrologique s’allonge, notamment aujourd’hui.
Le 9 décembre 2004, ma mère Nelly nous quittait.
Le 26 décembre de la même année, un tsunami anéantissait les populations en Indonésie et en Thaïlande.
Cela m’avait inspiré un article, ce jour-là, reliant les deux événements.
En cette période de crise sanitaire du Covid-19, je vous en livre la deuxième partie :
Une vie ! Qu’est-ce donc une vie ? Le 9 décembre dernier, dans une chambre du service des soins intensifs d’un hôpital parisien, une femme rendait son dernier souffle.
Les appareils qui la maintenaient dans une vie artificielle continuaient à émettre d’inutiles « bip-bip » obsédants. Elle était là dans ce grand lit froid, dans cette chambre trop froide qui fut le dernier décor austère de sa vie ; une vie en filigrane entre espoir et fatalité ; une vie en points de suspension à la frontière de deux mondes ; une vie qui s’arrêtait, ce matin-là, un triste matin de décembre ; une vie terrassée par un microbe minuscule, tueur, implacable qui avait détruit un à un tous ses organes.
Cette femme que je voyais partir, cette femme dont je me séparais physiquement à tout jamais, cette femme-là, c’était ma mère, celle à qui je devais la vie. Elle s’appelait Nelly. J’ai tenu sa main jusqu’au bout, hébété, incrédule, absent. J’ai retenu des larmes. Mais je n’ai pu empêcher mes yeux de s’embuer.
Alors, pour cacher ma peine, pour lutter contre mes sanglots, pour étouffer mes cris, j’ai marché comme un somnambule. Pour marcher, parce que je ne savais pas quoi faire d’autre que marcher, marcher sans but, marcher sans réfléchir, marcher, marcher, marcher droit devant moi. Marcher jusqu’à m’abrutir s’il le fallait. Puis, je me suis ressaisi. Si l’on peut vraiment se ressaisir.
J’avais froid. Je ressentais comme une espèce de vide. Le vide de l’absence. Que faire ? Que dire ? Que penser ? On se sent bien démuni quand on voit la mort de si près. Une mort intime ; une mort qui nous touche, parce qu’elle nous enlève un être aimé. Parce qu’elle nous extirpe une partie de nous-mêmes.
Le 26 décembre, j’étais déjà en deuil. Et je portais aussi le deuil de l’humanité meurtrie.
Une vie ! Qu’est-ce donc une vie ?
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