Remplaçons le plus par le mieux
Travailler plus ne permet pas de rattraper quoi que ce soit. Pas le temps, en tous cas. Avec la mise en jachère de la France, les entreprises les mieux structurées ou les plus agiles ont pu s’organiser avec le télétravail. Le confinement a été plus préjudiciable aux PMI et aux TPE plus fragiles financièrement que leurs concurrentes de plus grande taille ou à celles ne pouvant produire ou transformer sans une présence humaine indispensable. Après le confinement, M. Geoffroy Roux de Bézieux, président du MEDEF, préconisait l’idée de travailler plus. Face au tollé, il juge le débat désormais clos.
Je reprendrai un des tweets de Xavier Alberti (Directeur général des Collectionneurs, groupement du secteur de l’hôtellerie et de la restauration) : « Il n’y a rien à rattraper. Dans un modèle en rupture, il ne s’agit pas de travailler plus mais de travailler mieux, il ne s’agit pas d’acheter plus mais de consommer mieux, il ne s’agit pas de produire plus mais de produire ce dont nous avons besoin. Il faut changer de logiciel. »
Pourquoi travailler plus alors qu’il faudrait travailler mieux ?
Si le mieux est parfois l’ennemi du bien, le plus ou toujours plus est-il réellement un mieux ? Dans son livre « Toujours plus ! » (1982), François de Closets dénonçait les privilèges et les corporatismes, sources d’injustices et d’inégalités. Alain Peyrefitte avec « Le Mal Français » (1976) stigmatisait la pesanteur d’un État dirigiste, bureaucratique et centralisé, s’appuyant sur une administration tatillonne. Il se demandait dans son introduction : « Pourquoi ce peuple vif, généreux, doué, fournit-il si souvent le spectacle de ses divisions et de son impuissance ? »
Ne croyez pas que, dans une situation de crise actuelle, tout le monde soit logé à la même enseigne. Dans les turbulences, il y a toujours ceux qui tirent leur épingle du jeu. Le souci des dirigeants du CAC 40 est-il de protéger leurs salariés ou de préserver leurs bénéfices pour le plus grand bien de leurs actionnaires ?
Depuis trop longtemps, nous vivons une confusion des genres. Si l’argent est un moyen, il n’est pas une finalité en soi. L’entrepreneur est d’abord le porteur d’un projet, qu’il mène seul ou avec des partenaires. Après moult sacrifices, si les circonstances lui sont favorables, il parviendra à s’accomplir. Le travail devrait conduire à un épanouissement personnel. Or, pour beaucoup, ce n’est pas un choix mais une aliénation acceptée en contrepartie d’un salaire ou d’un revenu parfois insuffisant. Là encore, les inégalités sont criantes, que ce soit entre les hommes et les femmes, les régions, les secteurs, l’âge, les conditions de travail, les déplacements. Nous devrions trouver comment travailler mieux.
Nous avons perdu le sens des valeurs. J’entendais un journaliste dire que sans les libraires, il n’y aurait pas de livres. Un livre ne saurait exister sans un auteur. Si vous supprimez l’auteur, que reste-t-il ? Certes, on nous préfigure un monde où l’IA (Intelligence Artificielle) pourrait remplacer le créateur. Préfiguration d’un autre monde direz-vous, où la création artistique deviendrait robotisée au lieu de jouer avec les émotions. Le scénario n’est-il déjà pas écrit ?
L’IA est présentée comme un miracle technologique par nos dirigeants. Tant il est vrai que la machine ne craint pas les virus, sauf lorsqu’ils sont informatiques. Aujourd’hui pour produire plus, qui n’est pas tenté de recourir la machine plutôt qu’à l’homme ? À moins que nous ne changions de paradigme. Car pourquoi produire plus ? J’entends que l’industrie automobile devrait bénéficier d’aides financières conséquentes comme l’aéronautique par ailleurs. Dans un contexte où la transition écologique nous amène à modifier nos comportements, pourquoi produire des voitures ou des avions supplémentaires ? La Nature nous dira dans doute merci de nous restreindre.
Nous avons appris, grâce au confinement, à consommer mieux, à savoir local, contraints et forcés par la fermeture des frontières et la baisse des importations, notamment lointaines. Pourquoi ne continuerait-on pas ? Soutenir nos producteurs aurait dû être la priorité de nos gouvernements, de nos filières de distribution. Mais à toujours vouloir gagner plus, on rogne sur le prix du travail des autres. Le paysan est comme l’auteur, le producteur initial. Sans ce dernier, rien dans vos assiettes ni vos bibliothèques.
Nous avons assisté, impuissants, au délitement notre système de santé : vieillissement de nos infrastructures hospitalières, fermetures d’unités jugées non rentables, fusions d’établissements de soins, non-renouvellement de matériel, suppression de lits en réanimation, engorgement des urgences, provoquant les grèves justifiées des personnels soignants. Économie budgétaire opposera-t-on ! Le fameux 3% du PIB imposé par la Commission Européenne.
Si gaspillage il y a, il n’est ni dans la santé, ni dans l’éducation, ni dans la sécurité, ni dans le transport. Il est bien ailleurs, mais il est interdit d’aller voir de ce côté-là. Prenons pour exemple le leurre des grands ventilateurs qui défigurent nos campagnes et coûtent plus qu’ils ne rapportent. Enfin, ils rémunèrent bien quelques-uns, pas à la collectivité, c’est certain. Car pour EDF l’opération est négative, l’électricité produite par le vent ne vous profite pas et vous la payez sur votre facture au nom de la transition écologique. Qui plus est, ce ne sont ni des productions locales, ni biodégradables. Encore une histoire d’argent qui serait plus utile à d’autres fins !
En érigeant l’argent au rang de divinité, ce Veau d’Or, nous avons oublié notre propre essence. Pourquoi vivons-nous ?
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