Mort au comptant
Quel est le sens de notre vie ? En un mot, pourquoi vivons-nous ? Vivre, tout un programme direz-vous. Il y a dans l’idée de vivre, celle de croître, de grandir ou de s’épanouir, un état à la fois biologique et psychologique. L’épanouissement passera par l’apprentissage de connaissances, l’éducation ou la réflexion philosophique ou mystique.
On peut jouir de la vie, soit par la contemplation de la nature, les relations avec les autres, le plaisir d’être en société, ou en dépensant sans compter s’offrir un bien-être artificiel. Les uns vivent sur un grand pied, d’autres chichement. Imaginer que bonheur consiste à posséder est une illusion. Certes, les plus pauvres survivent au lieu de vivre, vivant d’expédients pour ne pas mourir. Mais, je connais des personnes modestes plus riches que les plus grosses fortunes car elles connaissent des bonheurs que l’argent n’achète pas.
On vit en conformité avec les lois et les règlements de nos sociétés, en s’y soumettant. Que ces lois soient gouvernementales, religieuses ou morales, leur acceptation nous amène à vivre selon elles. Notre liberté de transgresser nous conduit à en assumer les conséquences. Sans cette liberté, aucun progrès n’aurait été possible. La transgression est parfois nécessaire pour faire évoluer la société.
Nous vivons de plus en plus à crédit, à l’image du modèle américain. Nous travaillons pour vivre au sens matériel, et voulant jouir des biens de consommation, que nous ne pouvons nous offrir cash, nous empruntons. Tout le monde emprunte, les individus, les entreprises, les collectivités ou les États. Depuis longtemps, l’argent n’est plus palpable, il est devenu scriptural. Ce sont des lignes de comptes. Durant des années, la garantie a été l’or. Et les pays les plus prévoyants en ont fait des réserves, et ceux qui en produisent préserveront farouchement leurs ressources.
On nous parle de dette, de celle que nous allons laisser à nos enfants dans un monde régi par la finance internationale. Il s’agit de la dette nationale, générée par les États. Si un État s’endette, c’est qu’il investit dans les infrastructures, la santé, l’éducation, la sécurité ou la culture. Si l’État vit au-dessus de ses moyens, il dépense plus qu’il n’encaisse. Le problème de nos États vient de ce que coûte leur fonctionnement. L’institution financière leur demande alors de réaliser des économies. Vient le temps des coupes sombres dans les services publics, hôpitaux, écoles, postes, notamment. L’État cède également ses biens, patrimoine, aéroports, fleurons industriels par la privatisation ou la mise sur le marché boursier. Ce n’est pas l’État qui est en cause mais ceux qui le dirigent, cette engeance que nous appelons politiciens ou fonctionnaires, membres de la Haute-Administration sclérosée qui voit passer les ministres sans endosser la moindre responsabilité.
C’est à ces individus sortis du même moule que les politiques que nous devons l’énorme gâchis du saccage de notre société avec notre complicité. En nous donnant le droit de vote, nos gouvernants nous ont attribué une once de pouvoir afin de nous faire croire en démocratie. Notre société serait réellement démocratique, si le pouvoir n’était pas accaparé par quelques-uns, cette coterie qui s’échange les postes et les portefeuilles par des prêtés et des rendus. Force est de constater l’importance de l’abstention dans nos sociétés dites démocratiques qui ne confère qu’un semblant de légitimité à l’exécutif comme au parlementaire.
Que dire également de cette monarchie républicaine dans laquelle ne sont pas ou peu représentées les couches populaires de la société.
Dans notre vie à crédit, nous ne réfléchissons qu’au jour le jour, préoccupés à arrondir nos fins de mois ou à tirer le diable par la queue. Le mouvement des gilets jaunes a montré les failles de notre système. Certains en critiquent les excès en s’appuyant sur des outrances verbales ou des actes de malveillance. Mais, quand on n’a plus rien à perdre, la révolte est inévitable. Avons-nous oublié la colère des personnels de santé, la grève des urgences, les manifestations de pompiers ou de policiers ? Aujourd’hui, à 20h00, je suis certain que ceux qui les critiquaient hier les applaudissent aujourd’hui.
Notre seule certitude dans notre vie à crédit, c’est que la mort se paie comptant.
À propos de l’auteur